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Contrats aidés : lettre ouverte de Nathalie Sarrabezolles au Président de la République

« Monsieur le Président de la République,

Je viens de fermer le numéro du Point après lecture de votre grand entretien. Vous y évoquez, parmi d’autres sujets, la question des contrats aidés qui seraient, selon vous, une « perversion des politiques de l’emploi ».

Les chiffres sont utiles mais les données manipulables. Je suis d’avis, comme l’écrivait Alain, que « l’on prouve tout ce que l’on veut et que la vraie difficulté est de savoir ce qu’on veut prouver ».

Si l’on veut bien sortir du cynisme de la statistique, nous arrivons au coeur du sujet : ces contrats sont avant tout un outil de mise en œuvre des politiques d’insertion. Derrière ces chiffres, en effet, nous trouvons des situations humaines, sociales. L’emploi reste l’ambition que nous devons porter pour toutes et tous, quelle que soit leur situation, même si le chemin est parfois long car les parcours chaotiques et les freins nombreux. Un emploi, vous le dites vous même, dépasse la question du revenu : dans notre société, il apporte à l’estime de soi, au lien avec l’autre, à la réciprocité des échanges et à la reconnaissance mutuelle qui est la base de la solidarité.

Les contrats aidés, dont l’objectif est de favoriser l’accès à l’emploi des personnes éloignées du marché du travail, sont de nature diverse et s’adaptent à diverses situations. Leurs bénéficiaires sont majoritairement des femmes, et, à plus de 85% des personnes en difficulté particulière d’accès à l’emploi (en situation de handicap, de 50 ans ou plus, inscrites à Pôle emploi depuis plus de 12 mois, allocataires des minima sociaux, d’un niveau scolaire inférieur au bac…). Vous évoquez un « taux de retour à l’emploi durable des personnes concernées très faible ». Pourtant, l’évaluation du suivi professionnel montre, contrairement à ce que j’ai pu lire ici ou là, que leurs effets ne sont pas anecdotiques : de 41 à 67% des personnes, selon les types de contrat, sont en emploi 6 mois après la fin de celui-ci.

Vous dites qu’il est nécessaire de mener une « vraie politique de lutte contre les discriminations, une vraie politique de formation » et l’on ne peut qu’être d’accord, mais n’opposons pas formation et contrats aidés. Ce sont des outils complémentaires pour permettre au plus grand nombre d’accéder à l’autonomie et à l’emploi par, et je reprends vos termes, des aides adaptées et un accompagnement efficace. Leur diminution drastique aura enfin un impact sur l’insertion des allocataires du RSA ; les conséquences sont certaines pour ces derniers, ainsi que pour les politiques et les finances départementales.

Lorsque je vois les conclusions auxquelles vous aboutissez, je constate, Monsieur le Président, que derrière les mêmes mots nous ne voyons finalement pas les mêmes choses.

Vous dénoncez enfin une « subvention déguisée vers les collectivités locales ou le secteur associatif », proposant même de la faire entrer dans la dotation des collectivités ou des associations. Même si je ne rejoins pas votre analyse, je retiens votre proposition. Nous sommes
prêts à engager la discussion à ce sujet.

C’est un fait, les impacts sont significatifs pour de nombreuses associations, qui animent et dynamisent les territoires, font vivre la citoyenneté et l’engagement, et qui sont contraintes d’interrompre certains projets du fait de l’arrêt ces contrats aidés. Car au-delà de la nature de cette décision, la mise en œuvre vient introduire une forme de brutalité : l’annonce faite par Pôle emploi, sans sommation, au cœur de l’été a laissé employés et employeurs dans le plus grand désarroi.

Certaines associations, aux finances fragiles, commencent à appeler l’attention des collectivités locales sur leurs difficultés, notamment dans le champ de l’insertion, de l’accompagnement des personnes âgées ou handicapées. Ce sont des secteurs porteurs d’emplois qui, pourtant, sont peu reconnus. Il paraît nécessaire de valoriser ces métiers, les personnes qui les exercent et de trouver les moyens de les financer.

Vous reconnaissez vous-mêmes que « certains contrats aidés sont utiles ». Ils sont mal nommés, ils sont perfectibles. Soit. Trouvons des solutions alternatives à ces dispositifs ! En proposant un moratoire sur cette décision, vous pourriez permettre d’engager une concertation pour trouver les solutions adéquates. En tant que chef de file, les Conseils départementaux sont présents et actifs au quotidien, sur le front de l’insertion, des politiques d’inclusion.

Nous sommes, dans le Finistère, ouverts à l’innovation, prêts à imaginer et à expérimenter les dispositifs d’insertion de demain, pour allier construction personnelle, insertion sociale et parcours collectif.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’assurance de ma considération distinguée. »